samedi 22 septembre 2012 (heure non définie)

"DE L'AUTORITE", organisé par l'association "Le collège des Humanités"


La question de l'autorité est aujourd'hui au centre d'une polémique qui traverse toutes les sphères de la vie familiale, sociale, éducative, politique, économique. Il y aurait une crise de l'autorité…

Mais qu'est-ce que l'autorité ? Est-ce d'avoir le pouvoir - reconnu ou non - d'exiger de l'autre l'obéissance et le respect des règles au nom d'une position, fut-elle celle du père, de l'enseignant, du législateur, d'une institution, de l'état et de ses représentants, d'une idéologie politique…? Est-ce de contraindre ou soumettre l'autre par la force, sous la menace, tel le dictateur ou le tyran qui fait fi de la règle commune et des lois qui régissent le corps social ? Est-ce de faire valoir un ordre juste se fondant sur l'égalité et le partage censés évacuer le bon vouloir de ceux qui détiendraient le pouvoir ? Sans parler de la nostalgie d'un ordre ancien - religieux ou moral - qu'il faudrait remettre au goût du jour de l'avis de certains.

Étymologiquement, autorité vient de auctoritas, qui dérive de auctor qui désigne l'auteur, soit celui qui accroît (augere), mais aussi celui qui fonde, qui est à l'origine, au principe (de quelque chose). En tant que tel, l'auteur est celui qui, soucieux d'une éthique des conséquences, en assume les risques et les dépens. Ce qui s'en déduit, c'est que l'autorité ne relève ni de l'être ni de l'avoir, elle n'est affaire ni de savoir ni de pouvoir. L'autorité relève de l'auteur d'une parole, elle est l'effet du dire de quelqu'un dont le désir est mobilisateur pour qui le reçoit.
Ainsi, faire autorité procède de ce " plus " qui, décerné à quelqu'un, produit un effet de résonance, d'attrait, et provoque un écho qui sollicite et éveille le désir. L'autorité ne se décrète pas, elle est toujours décernée, attribuée, accordée à celle ou celui qui se situe dans un rapport à l'impossible à nul autre pareil. Sa parole agit comme une parole Autre, qui peut enseigner, orienter et transmettre. Cette parole Autre institue la figure inaugurale d'une série où prendront place tous ceux que le sujet va investir, (parents, professeurs, amis, leader...) Pour autant, celui à qui l'on confère une autorité n'est ni le Saint des Chrétiens, ni le Juste des Juifs, ni le Parfait des Cathares, mais celui qui se tient dans la docte ignorance à l'instar du Maître antique, ou de la figure symbolique du père qui indique une voie, celle du désir et de la Loi.

En 1968, le mot d'ordre était : " Il est interdit d'interdire ", quand Lacan déclarait aux étudiants de Vincennes : " Ce à quoi vous aspirez comme révolutionnaire, c'est à un maître. Vous l'aurez ! " Ces deux énoncés font valoir que l'absence de loi porte atteinte au désir. Jouir sans entrave dérègle le sujet. Pour Lacan, " Le père n'est pas une question, c'est une réponse ", qui met en tension la Loi et le désir. Il est un " dire que non ", à partir de quoi un " dire que oui " est possible, d'où s'énonce le désir de chacun. Désir et Loi sont noués, en faisant limite au toujours plus de satisfaction, en barrant la jouissance mortifère.
Hors ce champ du désir et de la Loi - et force est de constater que nous y sommes - la main invisible des totalitarismes, ne peut qu'engendrer ce que La Boétie appelle " la servitude volontaire ". Servitude qui implique toujours de renoncer à son propre désir, au profit d'un tyran. C'est ce renoncement qui produit la figure du Tyran, parce que dit-il, les hommes lui cèdent leur liberté, qu'ils " n'ont même pas la force de la désirer " et ceci " uniquement parce que, s'ils la désiraient, ils l'auraient. " La liberté n'est pas licence. Elle est sœur de la nécessité.

Fut-elle légitimée par le suffrage, l'autorité est aujourd'hui, insupportée. La voici subvertie par le mépris des différences, par le rejet ou le refus de toute hiérarchie, au pâle motif d'une équivalence consensuelle et d'un égalitarisme illusoire. Là sont réunis les germes d'une tyrannie et d'un totalitarisme à l'évidence déjà à l'œuvre... L'autorité, quant à elle, séjourne dans la proximité du réel en ce qu'elle dénonce les fictions et ébranle les semblants.

Nous tenons d'Aristote que la Rhétorique - qui dans l'Antiquité a contribué au développement de la démocratie - est un art essentiel en ceci qu'elle articule la Politique et l'Éthique. Cet art décline depuis la fin du XIXe siècle pour être remplacé de nos jours par des séances de coaching, censé offrir les recettes d'un discours efficace!

Dès lors, comment redonner voix à l'auctoritas ?